Son appel à l’aide sur le Net lui a valu une renommée mondiale: maire d’une commune sinistrée proche de la centrale de Fukushima, Katsunobu Sakurai veut toujours croire en sa ville.
C’est l’histoire d’un espoir un peu fou. Maire de Minami-Soma, une ville côtière nipponne de la préfecture de Fukushima, Katsunobu Sakurai s’est promis de redonner vie à sa cité meurtrie par la triple catastrophe qui a frappé le Japon le 11 mars – un séisme de magnitude 9, un tsunami de plusieurs mètres de hauteur et le plus grave accident nucléaire depuis Tchernobyl. Malgré les destins brisés, les rêves envolés et ses 700 administrés à jamais disparus, ce petit homme au visage rond et à la voix douce n’a jamais voulu renoncer.
La vidéo qui a tout changé
Une vidéo postée quelques jours après le drame sur YouTube et sous-titrée en anglais lui vaut d’emblée une notoriété planétaire. Il y apparaît assis dans un décor dépouillé, vêtu du blouson beige de travailleur qu’il ne quitte plus depuis le drame, tendu vers la caméra comme s’il implorait le spectateur. Il évoque les malheurs de sa ville, décrit le profond sentiment d’isolement d’une communauté meurtrie, inquiète du devenir de la centrale nucléaire de Fukushima, bâtie par la Compagnie d’électricité de Tokyo (Tepco) à une vingtaine de kilomètres plus au sud. Et fustige « le peu d’informations » alors fournies par le gouvernement de Tokyo et la société Tepco. « Nous nous sentons abandonnés ! » déplore-t-il, soulignant notamment les difficultés d’approvisionnement des quelque 10 000 habitants – sur 71 000 – qui ont choisi de rester sur place malgré la menace nucléaire.
Etaient-ce les mots, le ton ? Visionnée des centaines de milliers de fois, la vidéo a déclenché une véritable vague de solidarité pour Minami-Soma et suscité tant de réactions que le magazine américain Time a fait de son maire l’une des 100 personnalités les plus influentes de la planète.
« L’idée était venue d’un habitant », précise aujourd’hui Katsunobu Sakurai. L’homme se soucie assez peu de cette « reconnaissance » en forme de buzz. Dans sa mairie, où il reçoit avec beaucoup de simplicité, couloirs et bureaux grouillent de déplacés en quête d’un peu d’aide, de sinistrés en attente d’éclaircissements sur les assurances auxquelles ils peuvent prétendre, de militaires engagés sur le front du nettoyage… Le tout dans un décor de dessins d’enfants déclinant en multicolore l’antienne en vogue depuis le drame : Gambare, Minami-Soma ! – courage, Minami-Soma !
Offrir un avenir à une ville qui ne semble plus en avoir
Katsunobu Sakurai parle avec nostalgie de cette ville où il a vu le jour en 1956, comme ses parents éleveurs de bovins et cultivateurs de riz, et comme tous les Sakurai du lieu depuis « 15 à 20 générations, je pense ». La bonté de son sourire invite à prolonger l’échange. Le maire a grandi là, entre les montagnes dominées par le mont Kunimi, à l’ouest, et l’immensité du Pacifique, à l’est. Il a fréquenté la plage locale, un « spot » pour « surfeurs », et arpenté le petit port à l’embouchure de la rivière Manogawa. Des lieux aujourd’hui rayés de la carte, balayés par le tsunami et qu’un ballet de grues et de camions s’emploie à nettoyer. C’est là également qu’il a étudié – « C’était une tête », se souvient un ancien camarade de classe, aujourd’hui boulanger – avant d’intégrer l’université d’agriculture Iwate, un peu plus au nord. « J’ai choisi cette université, confie-t-il, parce que je voulais suivre la voie de Kenji Miyazawa. » Originaire de la préfecture d’Iwate, cet écrivain, poète et agronome, auteur de contes pour enfants, fut aussi un militant de la lutte contre la pauvreté paysanne. De quoi séduire Katsunobu Sakurai, grand admirateur des figures japonaises du militantisme social. Habitué du Mémorial de la paix d’Hiroshima, il est aussi un pacifiste convaincu.
Un combat de longue date
Membre depuis 2003 de l’assemblée municipale, il se souvient encore de sa première bataille, contre un projet d’incinérateur. C’était avant de devenir le premier magistrat de Minami-Soma, sans étiquette, même s’il admet une proximité avec le Parti démocrate du Japon, la formation de centre gauche au pouvoir à Tokyo. C’est un combat d’une tout autre dimension que livre aujourd’hui ce célibataire adepte de la course à pied : offrir un avenir à une ville qui ne semble plus en avoir. « Nous reconstruirons, affirme-t-il, plus vite qu’Hiroshima! »
Un tel volontarisme laisse sceptique tant la réalité paraît sombre. Une partie de l’agglomération, située dans le périmètre de sécurité autour de la centrale, est zone interdite. L’économie de la ville reposait sur l’agriculture, la sous-traitance automobile et le tourisme. Elle est aujourd’hui anéantie. Chaque année quelque 1,5 million de visiteurs venaient à Minami-Soma, dont 210 000 en juillet à l’occasion du Nomaoi, un festival équestre réputé. Comme un défi, Katsunobu Sakurai a tenu malgré tout à l’organiser cette année, parce que « c’est une tradition vieille de mille ans et qu’elle donne un sens à la reconstruction ». Programmé du 23 au 25 juillet, il ne devrait attirer que 40 000 personnes.
« Si les enfants ne reviennent pas, ce sera difficile »
Comme dans la plupart des agglomérations sinistrées, la catastrophe a aussi accéléré le vieillissement de la population. Certains de ceux qui avaient fui au lendemain du tsunami sont revenus, mais la ville ne compte plus aujourd’hui que 40 000 habitants. Et très peu de jeunes. « Je vis seul ici », dit Junichi Okada, employé au bureau du tourisme. A cause de la centrale et de la radioactivité qui ne baisse pas, j’ai préféré éloigner ma femme et mes trois enfants. Beaucoup de gens ont fait de même. »
Source: www.lexpress.fr/actualite/monde/asie/japon-le-maire-qui-veut-sauver-sa-ville-apres-fukushima_1014216.html